La reconstruction en maquettes : les ISAI au centre du dispositif
On connaît la célèbre maquette du centre-ville qui servit le temps de la reconstruction à Jacques Tournant et ses équipes de repère, tant pour la maîtrise et la modélisation de l'urbanisme que de témoin afin de constater l'avancée des travaux.
La photo ci-contre, reprise dans plusieurs ouvrages, montre l'architecte présentant son oeuvre (son jouet pourrait-on dire !) à un journaliste américain. Le projet de ville est déjà bien avancé, même si quelques corrections vont être apportées par la suite : l'Église Saint-Joseph ne sera pas la réplique du projet de l'église Jeanne d'Arc (Perret, 1926) tout comme la tour de l'hôtel de ville connaîtra plusieurs couronnements avant celui adopté définitivement.
Projet pour l'église Sainte-Jeanne-d'Arc à Paris (non réalisé)
Élévation de l'hôtel de ville du Havre (document service ville d'art et d'Histoire)
Voici une autre photo de la maquette avec une mise en scène soignée : la côtière de Sanvic et Sainte-Adresse paraissent être dans la nuit (quartiers non reconstruits).
On observe que l'église saint-Joseph à cette fois-ci pris sa forme définitive, tandis que la tour de l'hôtel de ville est dans sa deuxième phase : clocheton déporté sur la gauche.
Mais avant d'aboutir à cet état, les différentes phases de l'avancée de la maquette témoignent des divers tâtonnements de l'équipe de l'atelier tant sur la forme que sur le style des édifices. Et ce sont les ISAI, premiers immeubles élaborés et construits qui sont au coeur de ce processus.
Voici, issues du fonds Tournant des archives municipales du Havre, quatre photographies inédites d'une maquette de la place de l'hôtel de ville avec son prolongement avenue Foch (sans la Porte Océane).
Les quatre angles de prise de vue ne sont pas un hasard. Le projecteur, toujours dans l'axe de l'appareil, met en évidence les études d'ensoleillement qui ont présidé à l'organisation des bâtiments dans les îlots des ISAI. Ainsi, la première image montre un lever de soleil (à l'est), puis au sud, sud-ouest pour terminer sa course plein ouest.
La densité de logements souhaitée imposait la construction de tours. La portée de leur ombre sur les bâtiments bas a longuement été étudiée. C'est ce qui a conduit à les placer perpendiculairement à l'hôtel de ville (c'est toute l'originalité de l'ordonnacement de l'ensemble de la place).
C'était la première fois que l'on procédait à une étude d'ensoleillement aussi poussée pour des constructions. Les constatations faites sur maquettes ont aussi fait l'objet de croquis techniques.
Sans revenir sur la tour de l'hôtel de ville, on constate aussi sur cette première maquette que les immeubles, à l'exception des ISAI, ont encore une ligne très 1930, avec un toit systématiquement à redents. C'est un reste des premiers travaux de l'équipe sur la reconstruction, où les immeubles apparaissaient aussi sur les dessins sous cette esthétique. Un exemple ici avec le tour du bassin du commerce.
Retrouvons notre maquette à un stade plus avancé.
Des immeubles font leur apparition (les îlots N5 et N6 rue de Paris par exemple). Mais on constate surtout que l'esthétique des blocs a changé : les immeubles de l'avenue Foch s'épurent à l'image des ISAI. En revanche, l'îlot V49, le premier immeuble de la coopérative François 1er édifié par des architectes havrais conserve bien son toit en redents (comme dans la réalité).
Au sud des ISAI, deux îlots font leur apparition de part et d'autre de la rue de Paris : le V38 et le V39. On distingue un rez de boutiques en retrait sous passage à colonnade (comme ceux utilisés rue de Paris). L'immeuble du V38, abritant les Galeries havraises n'aura finalement pas tout à fait cette forme. Quant à l'îlot V39, on sait qu'il ne sera finalement jamais construit (voir notre article).
En effet, conformément au plan Perret, la rue Victor Hugo devait être bordée sur toute sa longueur d'îlots similaires, que l'on devine être symétriques aux ISAI.
Cette réalisation est visible à peu de choses près sur cette autre maquette :
Il est à noter que les tours des ISAI sont coiffées d'un penthouse conforme au permis de construire de 1946 et qui ne sera finalement jamais construit. Cet apendice devait regrouper des locaux communs de rangement et des laveries et séchoir collectifs. Les bâtiments bas sont en revanche déjà débarrassés de leurs clochetons d'accès aux terrasses, pourtant aussi mentionnés dans le même permis de construire (voir notre article).
Prolongement du plan Perret, cette étude montre encore d'autres immeubles.
Sur ce plan quadrillé où la trame de 6,24 m éclate aux yeux, on repère immédiatement le théâtre -non construit- qui englobe également les halles centrales sur son arrière. Le lycée de jeunes filles - collège Raoul Dufy est en revanche conforme à sa réalisation, ce qui n'est pas le cas de l'église Saint-Joseph dont on ne distingue pas le tracé en croix.
La juxtaposition de toutes ces études en volume montre à quel point les ISAI sont au coeur du dispositif de reconstruction. Mais c'est aussi un témoignage étonnant du changement d'esthétique en marche. Perret apporte au Havre deux projets antérieurs non réalisés (la porte Maillot qui deviendra la porte océane, l'église Sainte-Jeanne-d'Arc qui se transformera en saint-Joseph) et une réinterprétion du palais d'Iena pour l'hôtel de ville. Le concours interne à l'atelier de reconstruction pour la réalisation des ISAI a créé une telle émulation que la modernité a fait son entrée, et c'est finalement cette modernité qui se répandra progressivement sur toute la ville. Adieu les toits en redents, bienvenue aux toits-terrasses avec corniche si caractériqtiques de la ville.