L'appartement témoin : un plan en mouvement
L'étude approfondie du permis de construire des ISAI, daté d'août 1946, permet de montrer que les plans étaient encore loin d'être figés et que de substantielles modifications allaient intervenir par la suite. Nous avons déjà évoqué les pignons d'accès aux toits térrasse (voir article), ou le joint de dilatation des façades des deux îlots rue de Paris qui, déplacé, change radicalement la disposition des appartements (voir ici). Bien d'autres différences existent encore, mais penchons-nous aujourd'hui sur le plan du 5 pièces courant, présent dans tous les îlots, et qui est aussi celui qui a été retenu pour être l'appartement témoin.
Ces appartements sont présents uniquement dans les bâtiments bas (barres) et sont toujours en symétrie pris entre une cage d'escalier (desservant donc deux appartements par palier).
Détaillons cette version publiée au permis de construire en prenant l'appartement de gauche, le même que le témoin qui se visite actuellement.
On entre par la droite dans un vestibule avec dégagement en angle droit. A droite la cuisine, indépendante, puis une petite chambre reliée plus loin au séjour par une large ouverture. La porte principale de cette même pièce fait face à la porte d'entrée, mais au fond du couloir. A gauche : trois chambres. L'emplacement des lits est dessiné sur les plans. On en déduit que le grand lit de la première chambre la destine aux parents. Ensuite une deuxième plus petite, puis une troisième, la plus vaste, offre la possibilté de loger confortablement deux lits d'une place.
Les WC et la salle de bains sont à l'entrée, la salle de bains étant aussi reliée à la chambre des parents. Il est à noter que le pilier intérieur de l'ossature de l'immeuble est ainsi masqué.
Comparons maintenant avec le plan de l'appartement témoin (et donc le plan définitivement retenu pour la construction). Ce plan est issu du livre Appartements témoins de la reconstruction du Havre publié sous la direction d'Elisabeth Chauvin aux éditions Point de vue / Ville du havre (2007), page 102.
A l'exception de la cuisine, tout y est différent ! Seules les idées directrices persistent. En premier lieu, la colonne de l'ossature est clairement posée face à la porte d'entrée, tel un manifeste. Elle prend donc une forme octogonale et est traitée en béton bouchardé avec des arrêtes soulignées en ciment.
le séjour est posé au centre de l'appartement (les cheminées sont donc déplacées), la petite chambre (traitée ici en bureau) étant repoussée à l'extrêmité. Symétriquement, la cuisine s'ouvre maintenant sur le séjour. La salle de bains prend sa place au fond de l'appartement, la chambre des parents, toujours avec son accès direct la jouxtant. La chambre du milieu s'épaissit par rapport au plan initial, et la petite chambre d'enfants se retrouve donc dans l'entrée. Assez isolée du reste de l'appartement, elle deviendra logiquement la chambre de l'adolescent. Enfin, les WC se déplacent sur l'ancienne salle de bains.
Hormis les fenêtres des deux premières chambres qui se retrouvent en angle de pièce, ce plan définitif, dont on sent qu'il est le fruit de nombreux essais, n'offre que des avantages : vestibule accueillant, faible métrage accordé au dégagement, et surtout plus de modularité de l'espace à vivre avec ses deux cloisons mobiles et l'immense double porte permettant d'annexer la chambre du milieu pour avoir une grande pièce traversante. Par ailleurs, la salle de bains qui fait pendant au vestibule à l'autre bout de l'appartement est équipée de trois portes permettant ainsi de faire le tour complet de l'habitat. Un petit dressing est également ajouté.
L'ultime preuve de la rapidité avec laquelle toutes ces modifications sont envisagées se trouve sur le plan dit "d'étage courant", autre document du permis de construire (feuillet n°19). Voici ici l'îlot V40, celui de l'appartement témoin. Seuls le contour des appartements y figurent.
Regardons un agrandissement reprenant la cage d'escalier de l'appartement témoin (celui-ci est à gauche).
Les pièces d'eau, carrelées, sont représentées. Et on s'aperçoit ici que c'est bien le plan définitif, tel qu'on le connait qui est pris en compte : WC dans l'entrée, salle de bains au fond. Ainsi, bien que déposés simultanément, les différents plans du permis de construire des ISAI ne sont pas cohérents entre eux. On mesure mieux ici la hate dans laquelle les ISAI ont été imaginés dans le cadre du concours interne à l'atelier de reconstruction.
La rapidité s'arrêtera cependant ici. Les aléas de la construction feront que le premier occupant des ISAI ne recevra ses clefs que 4 ans plus tard.